Ma mère et ma sœur sont
venues, la semaine dernière, me rendre visite. J'aime l'Asie depuis
un petit moment ; les mœurs des Chinois m'ont surprise, mais
c'était comme de manger une tarte aux pommes pour la première
fois : je connaissais le goût des pommes, mais pas celui de la
tarte. Il n'y a pas eu de révolution, pas de révélation, juste
quelques surprises et des ressemblances. En revanche, pour ma mère
et ma sœur, voyager en Chine, c'était vraiment avoir la tête à
l'envers. Et la chose qui les a le plus choquées, c'est la politesse
des Chinois. Je crois qu'elle vaut le détour.
En France, la politesse
s'assimile à une liste de règles. La politesse, c'est l'étiquette.
« Fais pas ci, fais pas ça, viens ici, mets-toi là... »
chante la chanson. Pour les Français, être poli, c'est respecter
les règles. On met les mains sur la table, on ne double pas dans les
files d'attente, on dit bonjour, merci, au revoir... Pourquoi ?
Les Français répondent seulement « parce que sinon, c'est
malpoli. » Qu'on leur demande de justifier leurs règles, et
ils avouent facilement qu'elles sont ridicules, mais qu'elles leur
restent indispensables, qu'ils ne peuvent pas s'en passer. Les
Français jugent énormément sur ce critère les gens qu'ils
rencontrent. Parmi les conseils que les professeurs donnent à leurs
étudiants pour bien réussir leurs examens, on retrouve des conseils
de politesse : s'habiller convenablement, dire bonjour et au
revoir, ne pas ignorer l'examinateur, ne pas manquer de respect.
Lorsque nous nous retrouvons devant notre futur employeur, il nous
faut adopter la même conduite. Toujours rester polie est, je crois,
le conseil que j'ai le plus entendu dans ma vie, que ce soit de la
part de mes parents ou de mes professeurs. La politesse est quelque
chose sur lequel les Français ne plaisantent pas.
Alors, fatalement, quand
ils viennent visiter la Chine, ils sont souvent offusqués par
certaines coutumes chinoises.
Les Chinois doublent dans
les files d'attente. Les Chinois mangent le nez dans leur bol, avec
leurs doigts et crachent ce qu'ils ne peuvent pas manger sur la
table. Les Chinois, d'ailleurs, crachent dans la rue, quand ils ne se
mouchent pas à la façon des rugbymen. Le matin, quand ils arrivent
dans leur classe, avant que le cours ne commence, ils ne se disent
pas spécialement bonjour, ils enchaînent sur le sujet de la
conversation. La liste est longue, et je ne voudrais pas choquer mon
lecteur... Toutefois, quoiqu'il en pense, les Chinois sont polis. La
politesse chinoise existe, mais elle est difficile à comparer avec
la politesse française. Si les Chinois doublent dans la file
d'attente, c'est parce qu'ils veulent juste poser une question à la
caissière. Ils mangent le nez dans leur bol parce que c'est plus
pratique. Ils jettent leurs papiers dans la rue parce qu'ils savent
qu'il y a quelqu'un pour les ramasser (et c'est vrai, la Chine
possède une armée de balayeur qui passe ses journées à ramasser
la moindre miette au sol). Non, en Chine, la politesse n'est pas une
règle, et c'est pour ça que la plupart des Chinois osent enfreindre
les règles : ils savent que s'ils font quelque chose de
vraiment contraire aux règles, quelqu'un leur rappellera qu'il ne
faut pas faire ça (les employés du magasin, du métro, les
balayeurs dans la rue, voire les policiers... les représentants de
l'ordre ne manquent pas en Chine). Leur politesse consiste surtout en
un savoir-vivre avec les autres. Les Chinois font preuve d'un grand
égoïsme à certains égards : ils poussent dans le métro,
dans la rue pour pouvoir passer, ils prennent les plus grosses parts
du plat etc. Mais je pense que s'ils agissent comme ça c'est parce
qu'ils savent que s'ils agissaient en fonction des autres, leur vie
serait insupportable. Dans une ville de plus de huit millions
d'habitants, quand on est pressé, on déteste les politesses devant
les marches de l'escalator, ou dans la porte de métro. Quand on est
perdu, on est heureux de ne pas avoir à réfléchir avant d'aborder
quelqu'un pour lui demander son chemin, n'importe qui fait l'affaire,
on ne dérange vraiment personne. La clé de la politesse des Chinois
est la réponse aux deux questions « qu'est-ce qui est le mieux
pour moi ? Qu'est-ce que je peux faire pour les autres ? »
Les Français, avant de
faire quoi que ce soit, se demandent « est-ce que c'est
poli ? », passent dans leur tête la liste des règles de
politesse qu'ils connaissent et agissent en fonction de la réponse à
cette question. Les Chinois réfléchissent peu avant d'agir :
ils savent où s'arrête leur intérêt et où commence celui des
autres. Être poli en Chine c'est savoir être égoïste et
philanthrope en même temps.
2 commentaires:
Cette jeune fille est remarquable ! Son article est à la fois sensible, humoristique et intelligent. Merci de l’avoir fait suivre je l’ai lu et relu avec bonheur.
Ah ah ah!
Bel article, plein d'humour et de réalisme.Je ne savais pas q'ailleurs politesse était autre.
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