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samedi 19 octobre 2013

上课


Ça faisait un bon moment que je voulais parler des cours en Chine, très différents des cours français. Je voulais aussi vous parler de la notion de colonialisme, mais c'est assez dur à expliquer. Mardi dernier, les Chinois m'ont dit que Le Clézio venait donner le jeudi suivant un cours à la faculté de Nankin (rien que ça). Sans savoir, le dernier prix Nobel français allait me donner la matière de cet article. 
Il était évident que j'allais en parler : je suis étudiante en littérature et, qui plus est, ma professeur de français en seconde, au lycée, nous avait fait lire deux de ses livres, que j'avais bien aimé. Pour moi, c'était la première grande rencontre avec un écrivain, un vrai, une célébrité et pas n'importe lequel. Autant vous dire que l'attente a été longue, même s'il n'y avait que deux jours. Je ne pensais pas alors que j'aurai de quoi écrire. Je me disais que j'écrirai juste, fièrement, que j'ai assisté au cours d'un prix Nobel de littérature.
Je suis donc allée au cours donné par Le Clézio, à une heure de mon domicile, de 18h30 à 20h30. Je suis partie à 16h45 pour être sûre d'être en avance et d'avoir une place assise. Bien évidemment, quand je suis arrivée, elles étaient toutes prises. Il aurait fallu arriver avant 17h dans la salle. J'ai fait le tour des autres salles de cours avec une amie chinoise pour trouver des chaises, mais il n'y en avait plus : le seul cours de Le Clézio avait vidé la faculté de toutes ses chaises. Nous nous sommes donc assises sur les marches de l'estrade. Et nous avons attendu l'arrivée de ce grand homme.
La salle était comble, il y avait peut-être deux cents étudiants chinois (ce qui est énorme en Chine : des amphithéâtres tels que ceux de la faculté de médecine n'existent pas à Nankin : tout au plus ce sont des salles de cinquante places), assis à une table ou sagement postés dans les allées à droite et à gauche, mais toujours en laissant un espace libre pour circuler. C'était assez impressionnant. Pareille organisation chez des étudiants français, je n'en n'ai jamais vue.
Prenons le temps de parler des Chinois avant de parler du Français. Pour beaucoup, ils étaient venus voir le prix Nobel de littérature, pas spécialement Le Clézio. Je pense également que la notion "d'étranger" devait entrer en ligne de compte. Je vous ai déjà dit la curiosité des Chinois à notre égard (elle ne faiblira pas, je crois : l'autre jour, un inconnu sur un vélo nous a salué joyeusement en passant avec un "Good morning !", étonné de notre étrangeté) : elle devait être doublée ce soir-là. On repérait les étudiants qui étaient venus spécialement pour le voir lui, car ils avaient des appareils photos énormes et rien pour prendre des notes. Bien évidemment, ils avaient les places avec une table. Nombreuses étaient les étudiantes chinoises qui prenaient des photos avec leurs portables. Le plus gros cliché, je crois, fut celui d'une étudiante qui avait un étui de portable avec comme fond la tour Eiffel...
Pour ma part, c'était la curiosité du savoir d'un prix Nobel qui m'avait fait venir. Je me disais : qui de mieux placé pour donner un cours ? Je savais qu'il allait parler d'art, mais je pensais aussi qu'il y aurait quand même des liens avec la littérature. De toute façon, il me semblait que ce serait utile.
Il est donc arrivé. D'abord, c'était le photographe (pour un journal ? je n'en sais rien), qui a fait des photos de la salle. Ensuite, je crois, il y avait tellement de monde que je ne voyais plus très bien l'estrade (même si j'étais assise sur les marches), arrivèrent une étudiante chinoise, sûrement son assistante, un homme en cravate et le-dit prix Nobel, sa femme et un ami chinois.
C'est un Chinois qui a fait sa présentation : où il est né, blablabla... A un moment, il a dit qu'il était venu avec sa femme : tous les Chinois se sont levés, surpris, émerveillés, pour voir la femme de Le Clézio (celle-ci sortit de cette torpeur qu'on a tous quand on suit une conversation dans une langue qu'on ne comprend pas et leva des yeux étonnés : "mais pourquoi me regardent-ils comment ça ?"). Comme j'étais sur les marches de l'estrade, je les ai tous vu faire, et c'était assez drôle de voir tous ces étudiants se lever d'un coup, avec un grand "Oohh !", pour voir une femme. L'ami de l'écrivain était lui-même un écrivain chinois, apparemment assez connu, du moins pour les Chinois (mais ils ne se sont pas levés pour le voir, c'est l'auteur qui s'est levé). Ceux-ci m'avaient demandé auparavant si Le Clézio était populaire en France, corrigez-moi si j'ai mal répondu : connu, oui, populaire, non.
Enfin, après cette présentation il a commencé à parler. Le Clézio a commencé à parler. Ces deux premiers mots furent un 你好 pitoyable, sûrement appris deux minutes avant le début du cours, un bout de conscience lui rappelant que lorsqu'on enseigne dans un pays étranger, on apprend la langue du pays. Il a fait le reste de son cours dans un anglais trop français pour ne pas être ridicule : même un élève de troisième a un meilleur accent que lui. Qu'on ne s'étonne pas de notre réputation de mauvais élèves en langues vivantes : il incarnait le meilleur exemple de cet accent tout pourri. On aurait presque pu faire un sketch.

En ce qui concerne le colonialisme : Le Clézio était un parfait exemple de colonialiste. Un colonialiste est un étranger qui, en Chine, refuse toute adaptation à la culture chinoise et qui croit que, parce qu'il est étranger, sa culture vaut partout et qu'il peut l'emmener et l'imposer en Chine. Et bien Le Clézio est un colonialiste. Il a laissé un Chinois faire la présentation de sa propre vie. Il avait une chinoise pour l'aider à utiliser l'ordinateur chinois. Il ne parlait pas la langue (même pas un mot), et spécialement mal l'anglais (il a essayé de prononcer à l'anglaise des mots français, juste pour se donner l'accent...) et la façon dont il a donné son cours montrait totalement le décalage culturel entre le professeur et ses étudiants.
La façon dont se déroule un cours en Chine est très différente de celle d'en France. En France, on arrive, on dit bonjour au professeur, on s'assoit, et on se tait pendant la durée du cours : il s'agit d'écrire le plus de choses. En Chine, on attend surtout des étudiants qu'ils soient attentifs, donc la plupart du temps, ils n'écrivent pas beaucoup. Par ailleurs, les étudiants sont plus proches de leurs profs que les Français : aussi, les profs s'amusent à faire des blagues pendant les cours, ou bien ils parlent deux minutes de leurs week-end, de leurs vacances etc. Parfois même, quand les étudiants ne sont pas trop nombreux, les professeurs les invitent à dîner (si ça vous est déjà arrivé en France, moi, jamais). Le poids social pèse beaucoup moins entre les professeurs et les étudiants : les uns sont là pour enseigner, les autres pour étudier : autant que ça se passe dans une bonne entente. Les étudiants chinois s'attendaient donc à ce genre d'ambiance. Le Clézio, lui, donnait un cours comme on peut en donner en France : timidement, rapidement, discrètement. Le décalage était tel qu'il a même perdu les étudiants qui étaient venus pour le voir lui. Avant même qu'une heure soit passée, des Chinois sortaient de la salle. En Chine, c'est spécialement malpoli. Normalement, on attend au moins la pause entre les deux heures (car on fait toujours une pause entre deux heures, même si elle est plus ou moins longue). Le Clézio n'a pas fait de pause : les Chinois lui ont extorqué une quand il a fait écrire les devoirs de la semaine suivante par son assistante chinoise (et elle écrivait en anglais !). Tout le monde s'est mis à parler et lui a perdu cinq minutes, nous, on a fait une pause. Il a fait circuler une bibliographie (ce que je n'ai jamais vu dans les cours chinois que je suis) et qui plus est, une bibliographie de livres français : peut-on s'attendre à ce qu'ils aient tous été traduits ? et peut-on les trouver à la bibliothèque de l'université ? rien de moins sûr.
Il est arrivé en retard et a fini avec une demi-heure d'avance. Il a cru avoir un public européen : aussi ne comprenait-il pas le rire des étudiants lorsqu'il montrait des portraits égyptiens "réalistes". En France, ça n'aurait choqué personne. Les Chinois sont assez bons observateurs pour remarquer qu'un portrait "réaliste" égyptien datant d'il y a plus de deux mille ans n'est pas réaliste ; un professeur chinois aurait sauté sur l'occasion pour faire une blague.

Quand j'ai décidé d'aller à Nankin, je ne pensais pas qu'un prix Nobel de littérature irait y donner un cours. Quand je l'ai su, j'ai pensé que ce cours serait magistral. On dirait bien que ce sont toujours nos plus grandes attentes qui provoquent nos plus grandes déceptions.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Génial, j'adore comment tu as présenté ce Grand Monsieur de la littérature Française...
J'aime bien quand les choses sont à leurs places...