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vendredi 11 avril 2014

成语

Aujourd'hui, j'ai envie de faire un peu de littérature. Alors, je vous ai traduit de petites histoires. Ce sont des histoires connues en Chine comme les fables de La Fontaine en France. Les Chinois utilisent certaines phrases tirées de ces histoires comme proverbe ou comme expression toute faite, comme nous nous disons "il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué" ; merci Monsieur de La Fontaine. 
C'est moi qui ai traduit, alors il est possible que ça soit approximatif, ou quelque peu modifié. Je voulais que ça reste sympa en français, alors dites-moi !

守株等兔 : Vivre sans innover, c'est attendre un lapin

Un jour, un paysan travaillait dans son champ, quand tout à coup, il voit surgir un lapin des buissons. L'animal court, court et, maladroit, se heurte à une souche d'arbre qui se trouvait là. Il se cogne si fort qu'il se brise la nuque et meurt. Le paysan, trop heureux de cette proie tombée du ciel, laisse tomber tous ses outils, récupère le lapin et rentre chez lui pour en faire un bon dîner.
"Après tout, se dit-il, si un lapin peut mourir comme ça, aussi facilement, pourquoi est-ce que ça ne pourrait pas se reproduire ? Travailler, c'est difficile et parfois incertain, je n'ai qu'à attendre et la nourriture viendra se cogner toute seule à ma souche d'arbre."
Le paysan retourna dans son champ et, au lieu de travailler, il attendit patiemment qu'un autre lapin se montre. Il attendit longtemps, très longtemps, mais aucun lapin ne se montra plus jamais et toute la contrée se moqua bien de lui.
Moralité : gouverner sans innover, c'est attendre un lapin.


刻舟求剑 : Marquer un bateau pour se souvenir d'un emplacement

Un jour, un homme était dans un bateau. Le bateau tangue et il échappe son épée dans l'eau. Alors, pour ne pas oublier, il écrit au fond du bateau : "c'est ici que j'ai fait tomber mon épée." Le bateau accosté, il descend et se met à chercher au pied du bateau son épée perdue. Mais il ne s'était pas aperçu que le bateau s'était déplacé mais que l'épée n'avait pas bougé ! Difficile de ne pas rire de cet homme, n'est-ce pas ?
Et bien, gouverner un pays sans jamais rien changer, ni dans ses lois ni dans sa politique publique, c'est la même chose. Notre siècle a déjà bien changé, si le gouvernement ne change pas avec lui, il va avoir des ennuis !
Un jour, un homme passe sur un pont et voit un autre homme en train de mettre un nouveau-né à l'eau. Il va voir l'autre et lui demande ce qu'il fait, car l'enfant criait à pleins poumons." Son père est très bon nageur", lui dit-il. Son père, effectivement, avait appris à nager, il et nageait bien, mais peut-on en déduire que son fils nagera aussi bien que lui ?
Déduire, de la même manière, qu'une chose se produira à coup sûr parce qu'une autre lui ressemblant énormément s'est déjà produite, c'est totalement absurde. Toutefois, dans notre pays, c'est comme ça qu'on gouverne.



Ces petites histoires sont des classiques en Chine, elles ont été écrites au troisième siècle avant Jésus-Christ si je ne me trompe pas... Comme quoi, la véracité des histoires ne dépendent pas de l'époque à laquelle elles ont été écrites ! 
Dites-moi si elles vous ont plu, j'essaierai d'en trouver d'autres intéressantes !

samedi 29 mars 2014

洗衣机

Aujourd'hui, parlons de la Chine accompagnés d'un peu de littérature ! Tout d'abord, la littérature écrite en France, par notre bon Monsieur de La Fontaine. Ensuite, votre humble serviteur, qui vous propose un peu d'exotisme asiatique. Excusez la trivialité du propos.

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère.
J'avais franchi les monts qui bornent cet État
Et trottais comme un jeune Rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux ;
L'un doux, bénin et gracieux,
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude.
Il a la voix perçante et rude ;
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air,
Comme pour prendre sa volée ;
La queue en panache étalée.
Or c'était un Cochet1 dont notre Souriceau
Fit à sa Mère le tableau,
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battait,dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moi, qui grâce aux Dieux de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet Animal qui m'a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l’œil luisant :
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les rats ; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.
Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.
Mon fils, dit la souris, ce doucet est un Chat,
Qui sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté
D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal tout au contraire,
Bien éloigné de nous malfaire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.

1C'est un petit coq.

L'autre jour, en entrant dans la buanderie, j'avais les pieds mouillés. C'est avec tristesse que je constatais que la machine à laver essayait de se remplir depuis un petit moment, sans y parvenir. Il y avait une fuite. Il a donc fallut téléphoner à la propriétaire pour qu'elle vienne voir. En Chine, apparemment, ce sont les propriétaires de l'appartement qui sont également propriétaires des machines à laver (ou du moins c'est comme ça chez nous). C'était déjà un bon point car, quitte à la changer, je préfère que ce soit ma propriétaire qui règle l'addition. Toutefois, celle-ci, comme n'importe qui, voulait essayer de la réparer avant de se résigner à s'en débarrasser. Elle appelle donc un premier plombier, avec qui elle se fâche parce qu'il lui dit qu'il faut changer le robinet d'arrivée d'eau qui est trop vieux. Force était de constater que c'était le cas. Aussi, elle se décida à le changer, mais pas en rappelant le premier plombier. Elle les paie pour travailler, pas pour se faire engueuler.
Ainsi, un beau jour de printemps, ma propriétaire toque à la porte. Elle est accompagnée d'un homme en costume de ville, ni trop sérieux, ni trop détendu. Il va, les mains dans les proches, dans la buanderie et regarde le robinet avec ma propriétaire. Celle-ci lui présente un robinet neuf qu'elle a acheté et lui le retourne dans tous les sens. Il grogne quelque chose entre ses dents. Le trou n'est pas assez gros pour l'arrivée d'eau, et faudrait quelque chose pour l'agrandir. Malheureusement, à part les ciseaux de ma colocataire ou le couteau qu'on utilise pour couper le saucisson que ma mère m'a envoyé, nous n'avons pas beaucoup d'outils à l'appartement. Tant pis, la propriétaire doit ressortir (seule) pour acheter le modèle qui convient. Petit interlude d'un quart d'heure, pendant lequel notre homme regarde les gens passer dans la rue en bas de chez nous, découvre avec surprise que l'interrupteur de la buanderie allume... l'ampoule de la buanderie... Finalement, la propriétaire revient toute essoufflée. Elle a changé le robinet.
Et bien, croyez-moi ou pas, ce n'est que lorsqu'il a réussi à installer ce robinet que j'ai compris que cet homme était notre plombier.
Moralité : ne jugez rien sur les apparences. La machine à laver fuit toujours.

dimanche 16 février 2014

不用客气

Ma mère et ma sœur sont venues, la semaine dernière, me rendre visite. J'aime l'Asie depuis un petit moment ; les mœurs des Chinois m'ont surprise, mais c'était comme de manger une tarte aux pommes pour la première fois : je connaissais le goût des pommes, mais pas celui de la tarte. Il n'y a pas eu de révolution, pas de révélation, juste quelques surprises et des ressemblances. En revanche, pour ma mère et ma sœur, voyager en Chine, c'était vraiment avoir la tête à l'envers. Et la chose qui les a le plus choquées, c'est la politesse des Chinois. Je crois qu'elle vaut le détour.


En France, la politesse s'assimile à une liste de règles. La politesse, c'est l'étiquette. « Fais pas ci, fais pas ça, viens ici, mets-toi là... » chante la chanson. Pour les Français, être poli, c'est respecter les règles. On met les mains sur la table, on ne double pas dans les files d'attente, on dit bonjour, merci, au revoir... Pourquoi ? Les Français répondent seulement « parce que sinon, c'est malpoli. » Qu'on leur demande de justifier leurs règles, et ils avouent facilement qu'elles sont ridicules, mais qu'elles leur restent indispensables, qu'ils ne peuvent pas s'en passer. Les Français jugent énormément sur ce critère les gens qu'ils rencontrent. Parmi les conseils que les professeurs donnent à leurs étudiants pour bien réussir leurs examens, on retrouve des conseils de politesse : s'habiller convenablement, dire bonjour et au revoir, ne pas ignorer l'examinateur, ne pas manquer de respect. Lorsque nous nous retrouvons devant notre futur employeur, il nous faut adopter la même conduite. Toujours rester polie est, je crois, le conseil que j'ai le plus entendu dans ma vie, que ce soit de la part de mes parents ou de mes professeurs. La politesse est quelque chose sur lequel les Français ne plaisantent pas.

Alors, fatalement, quand ils viennent visiter la Chine, ils sont souvent offusqués par certaines coutumes chinoises.

Les Chinois doublent dans les files d'attente. Les Chinois mangent le nez dans leur bol, avec leurs doigts et crachent ce qu'ils ne peuvent pas manger sur la table. Les Chinois, d'ailleurs, crachent dans la rue, quand ils ne se mouchent pas à la façon des rugbymen. Le matin, quand ils arrivent dans leur classe, avant que le cours ne commence, ils ne se disent pas spécialement bonjour, ils enchaînent sur le sujet de la conversation. La liste est longue, et je ne voudrais pas choquer mon lecteur... Toutefois, quoiqu'il en pense, les Chinois sont polis. La politesse chinoise existe, mais elle est difficile à comparer avec la politesse française. Si les Chinois doublent dans la file d'attente, c'est parce qu'ils veulent juste poser une question à la caissière. Ils mangent le nez dans leur bol parce que c'est plus pratique. Ils jettent leurs papiers dans la rue parce qu'ils savent qu'il y a quelqu'un pour les ramasser (et c'est vrai, la Chine possède une armée de balayeur qui passe ses journées à ramasser la moindre miette au sol). Non, en Chine, la politesse n'est pas une règle, et c'est pour ça que la plupart des Chinois osent enfreindre les règles : ils savent que s'ils font quelque chose de vraiment contraire aux règles, quelqu'un leur rappellera qu'il ne faut pas faire ça (les employés du magasin, du métro, les balayeurs dans la rue, voire les policiers... les représentants de l'ordre ne manquent pas en Chine). Leur politesse consiste surtout en un savoir-vivre avec les autres. Les Chinois font preuve d'un grand égoïsme à certains égards : ils poussent dans le métro, dans la rue pour pouvoir passer, ils prennent les plus grosses parts du plat etc. Mais je pense que s'ils agissent comme ça c'est parce qu'ils savent que s'ils agissaient en fonction des autres, leur vie serait insupportable. Dans une ville de plus de huit millions d'habitants, quand on est pressé, on déteste les politesses devant les marches de l'escalator, ou dans la porte de métro. Quand on est perdu, on est heureux de ne pas avoir à réfléchir avant d'aborder quelqu'un pour lui demander son chemin, n'importe qui fait l'affaire, on ne dérange vraiment personne. La clé de la politesse des Chinois est la réponse aux deux questions « qu'est-ce qui est le mieux pour moi ? Qu'est-ce que je peux faire pour les autres ? »


Les Français, avant de faire quoi que ce soit, se demandent « est-ce que c'est poli ? », passent dans leur tête la liste des règles de politesse qu'ils connaissent et agissent en fonction de la réponse à cette question. Les Chinois réfléchissent peu avant d'agir : ils savent où s'arrête leur intérêt et où commence celui des autres. Être poli en Chine c'est savoir être égoïste et philanthrope en même temps.

dimanche 17 novembre 2013

电脑

Bonjour à tous !
J'aimerais faire de cet article un conseil éclairé de votre part.
Voilà, je vous l'ai sûrement déjà dit, je me suis fait voler mon ordinateur. Aussi, je suis en train de regarder les prix pour éventuellement en acheter un nouveau.
Je traîne donc un peu sur un site où ils vendent des pc, mais j'ai remarqué que beaucoup d'entre eux étaient sous Linux. Après m'être renseignée, j'ai appris que, effectivement, Ubuntu (une version de Linux, comme Windows8 est une version de Windows) est l'OS (le système d'exploitation) officiel de la Chine (mais il ne fallait pas s'en étonner).
Un problème majeur se pose donc : puis-je choisir un ordinateur sous Linux ?
J'ai cherché des informations sur internet au sujet de la prise en main de Linux, et apparemment, ça n'a pas l'air si difficile. Le problème, que n'importe qui peut soulever, est que mon Linux à moi sera en chinois. J'objecterai tout d'abord que 1) a fortiori, je suis capable de comprendre, même si ça prend du temps 2) j'ai trouvé la ligne de commande qui me permet de modifier le langage du système d'exploitation, donc aucun soucis. 
Les utilisateurs de Linux en France disent que le plus gros problème de Linux est sa compatibilité avec le matériel ; dans mon cas la question ne se poserait même pas puisque je l'achèterais déjà tout installé.
Je ne m'y connais pas bien sur la question, aussi j'aimerais avoir plusieurs avis. Ai-je oublié de prendre des choses en compte ? Quel est votre avis ? Que feriez-vous à ma place ?

mardi 12 novembre 2013

休息

Je suis désolée pour le manque de constance avec lequel je publie mes articles ici... Discuter médiation interculturelle est assez difficile, et j'aimerais beaucoup avoir de la matière avant de vous parler de quoique ce soit, pour être sûre de ne pas dire de bêtises...
En attendant, mon blog habituel est toujours ouvert, si vous vous ennuyez de moi !

mercredi 30 octobre 2013

我与我们

L'autre jour, en cours, notre professeur nous dit "mais pourquoi vous utilisez toujours "mon" pour "mon pays, ma ville, ma langue, mon université" ? Ces choses ne vous appartiennent pas en propre, elles sont à "nous" !" Je crois que la première remarque, la plus facile, qu'on pourrait faire sur cette phrase est "mais elle est communiste, donc c'est normal !" Pas tout à fait. Quand on dit "nous" en Chine, est-ce qu'on est vraiment communiste ? ou est-ce que c'est dans les mœurs ?

Le communisme en Chine (c'est un sujet qui mérite un livre), actuellement, est bien dilué. Vous vous souvenez de la photo tradition/modernité que j'ai publié dans l'article sur ma promenade au lac ? Et bien le communisme chinois, c'est ça : un KFC à côté des lampions rouges. Ne nous voilons pas la face, même si le gouvernement ne veut rien lâcher, la Chine se capitalise. Mais la façon dont on parle de cette transformation reste plutôt sous-entendue, ou dans des conversations informelles. Tout haut, il faut parler de socialisme (tiens ? pourquoi est-ce que ça me dit quelque chose... ?) Ainsi, les jeunes vont à H&M, boivent des cafés au Starbuck et collectionnent les coques de portables plus fantaisistes les unes que les autres. Pas de réelle intervention du communisme, donc, dans la séparation de "moi" et de "nous".
En se promenant dans la rue et en faisant attention, on peut remarquer que les Chinois ne sont pas très originaux : la plupart s'habillent de façon normale (pantalon, chemise), et lorsqu'ils veulent faire les extravagants, ils s'habillent en rose, en jaune fluo, ils sortent les pics etc. mais ils se teignent rarement les cheveux, et les piercings sont étrangers à leur mode de vie. Les boucles d'oreilles que toutes les filles portent en France sont un piercing en Chine. J'ai une amie qui a un piercing sous la lèvre inférieure et un dans la nuque, à la racine des cheveux (je ne sais pas si j'explique très bien...) Plusieurs fois, des Chinois sont restés interloqués devant ses piercings. D'ordinaire, quand ils sont curieux, les Chinois nous demandent d'où nous venons, depuis combien de temps on étudie le chinois etc. Avec elle, c'est plutôt "est-ce que ça fait mal ? comment tu t'as fait ? pourquoi tu t'es fait ça ?" (sans blague !) Modifier son apparence physique dans son corps lui-même est assez mal vu parce qu'on porte atteinte au corps que nos parents nous ont donné. Puisqu'on est pas à l'origine de notre propre existence, il faut respecter le corps qu'on nous donne. Donc, à l'origine même, les Chinois ne considèrent pas leur corps de la façon égocentrique dont nous nous le considérons. En France, mon corps, c'est mon corps, et les Français vont beaucoup plus loin que les Chinois en utilisant ce prétexte pour faire des choses sans l'accord de leurs parents. En Chine, cette chose, dont je serais en droit de dire qu'elle est exclusivement mienne, n'est justement pas exclusivement mienne.

Donc, si mon corps n'est pas tout à fait mon corps, pourquoi est-ce que l'université serait mon université ? pourquoi est-ce que mon pays serait seulement mon pays ? Je ne suis seule ni dans mon université, ni dans mon pays, alors je ne peux pas dire que ces choses sont "à moi". Elles sont "à nous".

samedi 19 octobre 2013

上课


Ça faisait un bon moment que je voulais parler des cours en Chine, très différents des cours français. Je voulais aussi vous parler de la notion de colonialisme, mais c'est assez dur à expliquer. Mardi dernier, les Chinois m'ont dit que Le Clézio venait donner le jeudi suivant un cours à la faculté de Nankin (rien que ça). Sans savoir, le dernier prix Nobel français allait me donner la matière de cet article. 
Il était évident que j'allais en parler : je suis étudiante en littérature et, qui plus est, ma professeur de français en seconde, au lycée, nous avait fait lire deux de ses livres, que j'avais bien aimé. Pour moi, c'était la première grande rencontre avec un écrivain, un vrai, une célébrité et pas n'importe lequel. Autant vous dire que l'attente a été longue, même s'il n'y avait que deux jours. Je ne pensais pas alors que j'aurai de quoi écrire. Je me disais que j'écrirai juste, fièrement, que j'ai assisté au cours d'un prix Nobel de littérature.
Je suis donc allée au cours donné par Le Clézio, à une heure de mon domicile, de 18h30 à 20h30. Je suis partie à 16h45 pour être sûre d'être en avance et d'avoir une place assise. Bien évidemment, quand je suis arrivée, elles étaient toutes prises. Il aurait fallu arriver avant 17h dans la salle. J'ai fait le tour des autres salles de cours avec une amie chinoise pour trouver des chaises, mais il n'y en avait plus : le seul cours de Le Clézio avait vidé la faculté de toutes ses chaises. Nous nous sommes donc assises sur les marches de l'estrade. Et nous avons attendu l'arrivée de ce grand homme.
La salle était comble, il y avait peut-être deux cents étudiants chinois (ce qui est énorme en Chine : des amphithéâtres tels que ceux de la faculté de médecine n'existent pas à Nankin : tout au plus ce sont des salles de cinquante places), assis à une table ou sagement postés dans les allées à droite et à gauche, mais toujours en laissant un espace libre pour circuler. C'était assez impressionnant. Pareille organisation chez des étudiants français, je n'en n'ai jamais vue.
Prenons le temps de parler des Chinois avant de parler du Français. Pour beaucoup, ils étaient venus voir le prix Nobel de littérature, pas spécialement Le Clézio. Je pense également que la notion "d'étranger" devait entrer en ligne de compte. Je vous ai déjà dit la curiosité des Chinois à notre égard (elle ne faiblira pas, je crois : l'autre jour, un inconnu sur un vélo nous a salué joyeusement en passant avec un "Good morning !", étonné de notre étrangeté) : elle devait être doublée ce soir-là. On repérait les étudiants qui étaient venus spécialement pour le voir lui, car ils avaient des appareils photos énormes et rien pour prendre des notes. Bien évidemment, ils avaient les places avec une table. Nombreuses étaient les étudiantes chinoises qui prenaient des photos avec leurs portables. Le plus gros cliché, je crois, fut celui d'une étudiante qui avait un étui de portable avec comme fond la tour Eiffel...
Pour ma part, c'était la curiosité du savoir d'un prix Nobel qui m'avait fait venir. Je me disais : qui de mieux placé pour donner un cours ? Je savais qu'il allait parler d'art, mais je pensais aussi qu'il y aurait quand même des liens avec la littérature. De toute façon, il me semblait que ce serait utile.
Il est donc arrivé. D'abord, c'était le photographe (pour un journal ? je n'en sais rien), qui a fait des photos de la salle. Ensuite, je crois, il y avait tellement de monde que je ne voyais plus très bien l'estrade (même si j'étais assise sur les marches), arrivèrent une étudiante chinoise, sûrement son assistante, un homme en cravate et le-dit prix Nobel, sa femme et un ami chinois.
C'est un Chinois qui a fait sa présentation : où il est né, blablabla... A un moment, il a dit qu'il était venu avec sa femme : tous les Chinois se sont levés, surpris, émerveillés, pour voir la femme de Le Clézio (celle-ci sortit de cette torpeur qu'on a tous quand on suit une conversation dans une langue qu'on ne comprend pas et leva des yeux étonnés : "mais pourquoi me regardent-ils comment ça ?"). Comme j'étais sur les marches de l'estrade, je les ai tous vu faire, et c'était assez drôle de voir tous ces étudiants se lever d'un coup, avec un grand "Oohh !", pour voir une femme. L'ami de l'écrivain était lui-même un écrivain chinois, apparemment assez connu, du moins pour les Chinois (mais ils ne se sont pas levés pour le voir, c'est l'auteur qui s'est levé). Ceux-ci m'avaient demandé auparavant si Le Clézio était populaire en France, corrigez-moi si j'ai mal répondu : connu, oui, populaire, non.
Enfin, après cette présentation il a commencé à parler. Le Clézio a commencé à parler. Ces deux premiers mots furent un 你好 pitoyable, sûrement appris deux minutes avant le début du cours, un bout de conscience lui rappelant que lorsqu'on enseigne dans un pays étranger, on apprend la langue du pays. Il a fait le reste de son cours dans un anglais trop français pour ne pas être ridicule : même un élève de troisième a un meilleur accent que lui. Qu'on ne s'étonne pas de notre réputation de mauvais élèves en langues vivantes : il incarnait le meilleur exemple de cet accent tout pourri. On aurait presque pu faire un sketch.

En ce qui concerne le colonialisme : Le Clézio était un parfait exemple de colonialiste. Un colonialiste est un étranger qui, en Chine, refuse toute adaptation à la culture chinoise et qui croit que, parce qu'il est étranger, sa culture vaut partout et qu'il peut l'emmener et l'imposer en Chine. Et bien Le Clézio est un colonialiste. Il a laissé un Chinois faire la présentation de sa propre vie. Il avait une chinoise pour l'aider à utiliser l'ordinateur chinois. Il ne parlait pas la langue (même pas un mot), et spécialement mal l'anglais (il a essayé de prononcer à l'anglaise des mots français, juste pour se donner l'accent...) et la façon dont il a donné son cours montrait totalement le décalage culturel entre le professeur et ses étudiants.
La façon dont se déroule un cours en Chine est très différente de celle d'en France. En France, on arrive, on dit bonjour au professeur, on s'assoit, et on se tait pendant la durée du cours : il s'agit d'écrire le plus de choses. En Chine, on attend surtout des étudiants qu'ils soient attentifs, donc la plupart du temps, ils n'écrivent pas beaucoup. Par ailleurs, les étudiants sont plus proches de leurs profs que les Français : aussi, les profs s'amusent à faire des blagues pendant les cours, ou bien ils parlent deux minutes de leurs week-end, de leurs vacances etc. Parfois même, quand les étudiants ne sont pas trop nombreux, les professeurs les invitent à dîner (si ça vous est déjà arrivé en France, moi, jamais). Le poids social pèse beaucoup moins entre les professeurs et les étudiants : les uns sont là pour enseigner, les autres pour étudier : autant que ça se passe dans une bonne entente. Les étudiants chinois s'attendaient donc à ce genre d'ambiance. Le Clézio, lui, donnait un cours comme on peut en donner en France : timidement, rapidement, discrètement. Le décalage était tel qu'il a même perdu les étudiants qui étaient venus pour le voir lui. Avant même qu'une heure soit passée, des Chinois sortaient de la salle. En Chine, c'est spécialement malpoli. Normalement, on attend au moins la pause entre les deux heures (car on fait toujours une pause entre deux heures, même si elle est plus ou moins longue). Le Clézio n'a pas fait de pause : les Chinois lui ont extorqué une quand il a fait écrire les devoirs de la semaine suivante par son assistante chinoise (et elle écrivait en anglais !). Tout le monde s'est mis à parler et lui a perdu cinq minutes, nous, on a fait une pause. Il a fait circuler une bibliographie (ce que je n'ai jamais vu dans les cours chinois que je suis) et qui plus est, une bibliographie de livres français : peut-on s'attendre à ce qu'ils aient tous été traduits ? et peut-on les trouver à la bibliothèque de l'université ? rien de moins sûr.
Il est arrivé en retard et a fini avec une demi-heure d'avance. Il a cru avoir un public européen : aussi ne comprenait-il pas le rire des étudiants lorsqu'il montrait des portraits égyptiens "réalistes". En France, ça n'aurait choqué personne. Les Chinois sont assez bons observateurs pour remarquer qu'un portrait "réaliste" égyptien datant d'il y a plus de deux mille ans n'est pas réaliste ; un professeur chinois aurait sauté sur l'occasion pour faire une blague.

Quand j'ai décidé d'aller à Nankin, je ne pensais pas qu'un prix Nobel de littérature irait y donner un cours. Quand je l'ai su, j'ai pensé que ce cours serait magistral. On dirait bien que ce sont toujours nos plus grandes attentes qui provoquent nos plus grandes déceptions.